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« Du moins le silence, s’il écoute, tend à se faire matériaux interlocuteur de l’image et à rendre à la parole son obscurité. Cette obscurité est celle d’une illisibilité de la mémoire ».
Au « Coeur de la forêt », un message pour la nature















Je Dénonce l’impact de l’humanité sur la planète et en particulier sur la nature. Depuis de nombreuses générations, l’homme détruit son environnement – qui l’a pourtant nourri depuis la nuit des temps – or la nature représente le symbole de la vie. Comme l’indique si bien la phrase ancestrale amérindienne ou africaine, citée par Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.
Luz Severino.
Les choses de l’art commencent souvent au rebours de celles de la vie, ainsi, lors de mes visites en juillet, août et septembre 2019 dans l’atelier de Luz Severino, j’ai pu constater les espaces de sa maison en effervescence. Des oeuvres pas encore achevées parsemaient les lieux de leur intimité. J’ai découvert avec surprise la préparation et la gestation d’une immense installation que l’ajiste avait déjà bien entamée pour l’exposition : Dentro Del Bosque du mois d’octobre 2019 à la Fondation Clément
De longs tubes galvanisés, recouverts de plâtre blanc – certains mesurant quatre mètres de hauteur – encombraient tout l’espace de vie. C’est au coeur de cette installation, pour être présentée dans la nef de la Fondation Clément, que le travail de Luz Severino se constituait et s’élaborait. Au total, plus de deux cent cinquante tubes blancs fichés sur des socles et travaillés d’une façon artisanale et minimaliste, pour ne faire apparaître que les longueurs des troncs et jouer avec la verticalité des arbres qui intéresse tant Luz.
L’artiste à l’aide de plans élabore son installation. De grandes tiges de diverses tailles recouverte de plâtre, de chaux et de sisal qu’elle lisse à l’aide de ses mains, impliquant son corps entier en action. Autour de ces sortes de branches vierges, Luz enroule des fils de couleurs variées : rouge, bleu, vert, orange, violet et blanc… Couleurs évoquant l’espérance pour l’artiste mais aussi métaphores subtiles, qui à ses yeux, représentent les cicatrices – ici sous la forme de ligatures – que les hommes imposent à la nature et à la végétation.
Fichées sur des socles en tôle de formes diverses – plus de cinquante – Luz Severino a tracé des passages pour les spectateurs entre ces branches de végétation blanche, « symbolisant dans mon pays la pureté ».
L’installation se veut immersible corporelle-ment, car elle trace un trajet au cœur de cette forêt dépouillée de feuillage. Chacun traversera ce paysage silencieux et sera interpellé durant un moment de réflexion, voire de méditation, sur les enjeux subtiles de notre univers végétal en voie d’extinction.
En réalisant et travaillant ces formes à l’origine dans leur état brut, pour en faire un « espace tactile », Luz Severino fut saisie par la vision d’une forêt, sorte de paysage ou de nature morte à grande échelle. Et c’est cela qu’elle décida d’œuvrer. Avancer dans la sensation d’un espace pour sentir le lieu à l’œuvre. Se sentir n’est en rien une forme inférieure de la connaissance. Il est l’incontournable du domaine esthétique et, partant du travail que doit mener un historien de l’art devant une œuvre.
Les arbres qu’a désiré représenter l’artiste, sont l’un des thèmes symboliques les plus riches et les plus répandus. Le philosophe Mircea Eliade distingue sept interprétations principales, qu’il ne considère d’ailleurs pas comme exhaustives, mais qui s’articulent toutes autour du cosmos vivant en perpétuelle régénérescence.
Nous ne sommes pas sans évoquer les « pénétrables » de l’artiste vénézuélien Jesús-Rafael Soto, et le fait, que semblable au travail de Luz Severino, ils mesurent et bouleversent le rapport entre l’art, l’espace et le spectateur en faisant de l’œuvre, des sculptures pénétrables qui deviennent de véritables environnements dans lesquels le spectateur est invité à rentrer et à se déplacer, se frayant un passage pour communiquer avec l’œuvre et son environnement.
Pour Luz Severino, l’idée est de faire pénétrer et participer le spectateur dans l’œuvre – non plus seulement comme un regardeur – car cette installation est une œuvre à vivre et à éprouver. De même, l’artiste, avec cet immense pénétrable qui est presque une véritable architecture, veut nous rappeler que l’espace qui nous entoure, et principalement nos forêts, notre végétation, ne sont jamais vides et détruites. Dans cette intrusion que nous réalisons, au cœur de la pièce, notre perception totalement visuelle mobilise tous nos sens. C’est une expérience à la fois corporelle et sensorielle. Ce pénétrable de Luz Severino nous implique dans une relation physique et mentale à l’œuvre, devenue notre espace. Nous sommes ainsi confrontés à une expérience physique qui implique aussi un trajet face au vide et au plein qui se mesure au lieu. Ce trajet s’ouvre sur un ensemble de tableaux de grands formats que nous découvrons à la lisière de l’installation, comme à la lisière d’une forêt.
Le monde nature, et en particulier la végétation et les paysages, sont une composante essentielle de l’art depuis que les artistes existent. Pourtant les représentations artistiques sont généralement des interprétations personnelles plus que des transcriptions directes de la réalité. Elles sont aussi des moyens d’innover dans l’utilisation des couleurs, des formes, des motifs et des techniques.

Arrêtons-nous un instant sur la façon dont Luz Severino travaille ses grands tableaux. Elle trace et peint des structures verticales que l’on retrouve dans de nombreuses séries de ses œuvres ultérieures qui représentaient principalement des figures, voire des personnages. Ici, ces verticales ponctuent toute la surface des tableaux et engagent le regard vers un rythme perceptif proche de l’Op art ou de l’Art cinétique. Entourés de fils de couleurs, ces sortes de tiges et de troncs d’arbres se meuvent et oblitèrent l’arrière fond de la peinture qui le plus fréquemment représente des arbres touffus.

Intéressons-nous à un premier ensemble de quatre tableaux intitulé Les quatre saisons. Ce thème des quatre saisons a été très souvent traité dans l’histoire de l’art, autant en peinture avec le peintre de la Renaissance italienne Giuseppe Arcimboldo et par l’artiste du XVIle siècle français du classicisme Nicolas Poussin. Ce genre de tableaux, dans l’histoire de l’art académique appartenait aux modèles du paysage de la hiérarchie des genres en peinture.

Dans l’exposition, nous découvrons avec ces quatre toiles, un dispositif créatif tout à fait original. Luz Severino représente les tonalités des saisons des arbres et leurs feuillages juchés sur de fins troncs qui sont couverts avec des rythmes réguliers de fils de couleurs. L’artiste, patiemment, coud le verso de la toile et donne ainsi une rythmique colorée aux troncs des arbres. En étroite relation avec les tiges de l’installation, ces fils de diverses couleurs font écho aux tonalités de la forêt, des feuillages et des fleurs de toutes végétations que l’on retrouve dans la nature. Autre particularité technique très intéressante et surprenante, est la façon dont l’artiste compose le feuillage touffu des arbres.
L’ayant vu travailler sur une de ses toiles, elle délimite de petites parcelles enduites de peinture noire, qu’elle gratte et grave ensuite avec un scalpel pour faire apparaître des halos de grisaille. De même, ces tableaux sont riches dans l’utilisation de plusieurs médiums et techniques. La couture demande un long et laborieux travail de patience et l’incrustation de gravures, collées pour former un fin relief. Ces tableaux sont très tactiles et l’artiste demande que nous les touchions pour éprouver leurs formes et leurs structures.
Les tableaux s’associent et rentrent en dialogue avec l’installation.
L’unité de l’œuvre dans son ensemble est fort bien réussie. Ici, qu’ils soient sous une forme sculpturale en trois dimensions ou sous une forme picturale en deux dimensions, les arbres semblent être des entités sociables, distinctes, par leur volume, leurs couleurs et medium. L’œuvre entière s’entremêle pour tisser des liens et communiquer ensemble comme une famille vivante.
Le travail de Luz Severino, dans cette exposition absorbe les recherches d’un ingénieur forestier allemand, Peter Wohlleben, dans son ouvrage La vie secrète des arbres. Ce scientifique montre que les arbres des forêts sont sensibles à la douleur et ont une mémoire.
C’est sur ces chemins et sur la prise de conscience de la nature et plus particulièrement, la relation souvent violente et meurtrière que les hommes ont avec elle, que Luz développe avec une grande sensibilité et une esthétique singulière son œuvre. Nous sommes ainsi plongés au « cœur de la forêt ». Le ressenti de l’œuvre de Luz Severino est ainsi celui d’un lieu paradoxal : lieu pour éprouver en même temps le contact et la distance dans un moment de lucidité tactile et sensible face à la nature.